INFOS DROIT
Les arrêts maladie ouvrent-ils droit à l’acquisition de congés payés ?
Petit retour en arrière !
Le choc
En date du 13 septembre 2023, la Cour de cassation rend 3 arrêts qui soulèveront l’émoi parmi les employeurs du secteur privé. La Haute Juridiction écarte les dispositions du Code du travail au profit des normes et principes généraux européens rappelés par la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agit là qu’une application stricte de la hiérarchie des normes réglementaires (hiérarchie bien connue des étudiants en droit avec la présentation de la pyramide de Kelsen !). La Cour de cassation juge non conforme au droit de l’Union européenne la législation française aux principes garantissant à tous les salariés un congé annuel de quatre semaines minimum (qu’ils soient en arrêt maladie ou non !).
Par ces arrêts, la Cour de cassation refuse d’appliquer les dispositions limitant l’acquisition de congés payés en cas d’arrêt maladie.
Apport essentiel des arrêts de la Cour de cassation
La Cour de cassation considère que les arrêts maladie, quels qu’en soit la cause, sont assimilables à du temps de travail effectif pour l’acquisition de congés payés.
Conséquences de ces arrêts
Ces arrêts de la Cour de cassation ont provoqué une forte inquiétude chez l’ensemble des employeurs notamment en raison d’une rétroactivité applicable à tout arrêt (source de droit).
Le Conseil Constitutionnel, saisi par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Le Conseil Constitutionnel juge, le 8 février 2024, que les dispositions du Code du travail en matière d’acquisition de droits à congés payés en cas de maladie du salarié sont conformes à la Constitution.
Cette décision rassure peu les employeurs. En effet, le Conseil Constitutionnel reconnaît que les dispositions du Code du travail relatives à « l’absence » d’acquisition de droits à congés payés en cas de maladie non professionnelle du salarié sont contraires au droit de l’Union européenne et encourage le législateur à se conformer au droit européen.
Ce qu’il y a à retenir de la loi du 22 avril 2024
La loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole (dite loi DDADUE 2024) a été définitivement promulguée le 22 avril 2024
Le salarié en arrêt de travail pour maladie continue d’acquérir des droits à congés, quelle que soit la cause de sa maladie (professionnelle ou non professionnelle). Le salarié bénéficie également d’un droit au report des congés qu’il n’a pu prendre en raison d’une maladie ou d’un accident.
Bref, quelle est la législation applicable aux congés payés ?
En l’absence d’arrêt maladie, le salarié a droit à 2.5 jours ouvrables de congés payés par mois de travail effectif chez le même employeur, quel que soit son contrat de travail (CDI, CDD, contrat d’intérim) et qu’il travaille à temps plein ou à temps partiel.
Aussi, pour une année complète de travail, la durée totale du congé acquis est donc de 30 jours ouvrables (5 semaines).
L’année de référence qui sert à l’acquisition des droits à congés payés, est fixée du 1er juin de l’année précédente au 31 mai de l’année en cours.
La période de prise des congés désigne quant à elle la période au cours de laquelle le salarié peut poser ses congés et est fixée du 1er mai de l’année en cours au 30 avril de l’année suivante.
Certaines périodes d’absences sont assimilées à des périodes de travail (ex : absence liée à un congé maternité ou paternité) et sont prises pour le calcul du nombre de jours de congés payés.
La nouveauté ! L’ensemble des arrêts maladie constitue des périodes assimilées à du temps de travail effectif, quelle que soit leur durée. Autrement dit, ces absences doivent être prises en compte pour calculer les droits à congé annuel du salarié. (Article L.3141-5 C. trav.)
Toutefois, selon le motif de l’arrêt maladie (professionnel ou non professionnel), les droits à congés payés annuels sont calculés différemment.
Si la maladie est non professionnelle, le salarié acquiert 2 jours ouvrables de congés par mois d’absence, soit 24 jours ouvrables s’il a été absent toute la période d’acquisition. (Article L.3141-5-1 C. trav.)
Exemple si le salarié a été absent 2 mois :
Période d’acquisition : 1er juin 2024 au 31 mai 2025
Absence pour maladie non professionnelle : du 1er octobre au 30 novembre 2024
29 jours sont acquis et sont ainsi détaillés :
→ du 1er juin 2024 au 30 septembre 2024 : 4 x 2.5 jours = 10 jours
→ du 1er octobre 2024 au 30 novembre 2024 (maladie) : 2 x 2 jours = 4 jours
→ du 1er décembre 2024 au 31 mai 2025 : 6 x 2.5 jours = 15 jours
Attention à l’application de l’article L.3141-4 du C. trav. : les règles de calcul par équivalence (1 mois = 4 semaines = 24 jours ouvrables – l’arrondi se réalise toujours au nombre de jours au-dessus) restent applicables. Aussi, en deçà de 4 mois d’arrêt de travail par période de référence, du fait des règles d’équivalence et des nouvelles règles d’acquisition de congés payés, l’absence du salarié n’a pas de conséquence sur son compteur de congés payés. (Article L.3141-4 C. trav.)
Avec le calcul par équivalence 30 jours acquis et sont ainsi détaillés :
→ du 1er juin 2024 au 30 septembre 2024 : (17 semaines/4) x 2.5 jours = 11 jours
→ du 1er octobre 2024 au 30 novembre 2024 (maladie) : (9 semaines/4) x 2 jours = 5 jours
→ du 1er décembre 2024 au 31 mai 2025 : (26 semaines/4) x 2.5 jours = 17 jours
De 33 jours de congés payés obtenus après calcul par équivalence, le salarié obtient 30 jours – le plafond de congés payés par an.
Exemple si le salarié a été absent 8 mois :
Avec le calcul -décompte en mois : 26 jours acquis
Avec le calcul par équivalence – décompte en semaines : 29 jours acquis
Si la maladie est professionnelle ou si le salarié est arrêté à cause d’un accident du travail, celui-ci acquiert 2.5 jours ouvrables de congés par mois d’absence, dans la limite de 30 jours ouvrables par période de d’acquisition (fin de la limite de 12 mois).
Le report dans la prise des congés payés
Si le salarié n’a pu prendre tout ou partie de ses congés au cours de la période de prise de congés, en raison de sa maladie, professionnelle ou non, il bénéficie d’un report. Le délai de report est de 15 mois maximum (sauf si un accord d’entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe une durée de report supérieure). Les congés payés non pris par le salarié à l’issue de ce délai de 15 mois seront perdus. (Article L.3141-19-1 et L.3141-19-2 C. trav.)
Nouvelle obligation à la charge de l’employeur : informer le salarié de ses droits à congés
Après un arrêt de travail pour maladie ou accident, l’employeur doit porter à la connaissance du salarié les informations suivantes :
- le nombre de jours de congé dont il dispose (soit le nombre de jours acquis),
- la date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris (soit le délai dont le salarié dispose pour les poser).
Cette information doit être réalisée :
- par tout moyen qui permet d’assurer sa bonne réception par le salarié (LRAR, lettre remise en propre contre décharge, mail ou bulletin de paie),
- dans le délai d’un mois qui suit la reprise du travail,
- et après chaque arrêt.
Cette information conditionne le point de départ du délai de report. (Article L.3141-19-3 C. trav.)
Exemple pour le calcul du point de départ du délai de report des congés
Lorsque le salarié reprend son travail, la période de report débute précisément lorsque l’employeur informe le salarié de ses droits à congés, acquis avant et pendant sa maladie, et du délai de report.
Exemple :
Périodes de prise de congé : fixées du 1er mai 2024 au 30 avril 2025 (pour les congés acquis entre le 1er juin 2023 et le 31 mai 2024) et du 1er mai 2025 au 30 avril 2026 (pour les congés acquis entre le 1er juin 2024 et le 31 mai 2025)
Le salarié est absent pour maladie non professionnelle du 1er janvier 2024 au 2 avril 2024. Le salarié reprend son travail le 2 avril 2024. L’employeur informe le salarié le 15 avril 2024
→ Les congés acquis avant la maladie (le solde de ses congés au 1er janvier) peuvent être reportés jusqu’au 15 juillet 2025
En revanche, les congés acquis par le salarié pendant sa maladie ne font pas l’objet d’un report dans la mesure où sa reprise du travail intervient avant le début de la période de prise prévue pour ces congés.
Cas particulier du salarié en arrêt maladie depuis plus d’un an t qui n’ont pas repris le travail au moment où la période d’acquisition se termine.
Pour les congés acquis pendant l’absence pour maladie, le délai de report de 15 mois commence, non pas à la reprise du travail, mais à la fin de la période d’acquisition des congés.
Application pratique :
- Si le salarié revient dans l’entreprise après la fin de la période d’acquisition, mais avant l’expiration de la période de report de 15 mois, le point de départ de la fraction restante de cette période de report sera la date à laquelle l’employeur lui a donné l’information sur ses droits à congés.
Exemple : Période d’acquisition : 1er juin 2024 au 31 mai 2025
Le salarié est absent pour maladie du 26 avril 2024 au 31 juillet 2025. Le report applicable s’opère à partir du 1er juin 2025 et s’achève le 1er septembre 2026 car au 31 mai 2025, le salarié est toujours absent.
En conséquence, si le salarié revient le 1er août 2026, la période de report (un mois restant) est suspendue jusqu’au jour où l’employeur délivre au salarié l’information sur ses droits à congés. Si l’employeur donne cette information au salarié le 7 août, la période expire le 7 septembre 2026 (au lieu du 1er septembre 2026).
- Si le salarié ne reprend pas son travail à l’issue du délai de report, les congés payés sont perdus sans que l’employeur n’ait été obligé d’en informer le salarié.
Exemple : Période d’acquisition : 1er juin 2024 au 31 mai 2025
Le salarié absent pour maladie depuis le 26 avril 2024. La période de report débute le 1er juin 2025. Les droits à congé sont perdus si le salarié est toujours absent pour maladie à la date du 1er septembre 2025.
Enfin ! Quelle est la réponse à l’inquiétude des employeurs de la rétroactivité des droits à congés payés ?
L’article 37 II de la loi indique que les nouvelles dispositions sont applicables dans la limite de 4 semaines de congés payés par an avec le possible report de 15 mois aux situations antérieures à la loi et à compter du 1er décembre 2009 (et jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi).
Le délai de forclusion est quant à lui fixé à 2 ans à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi (à savoir le 22 avril 2024). Cela signifie que le salarié dispose de 2 ans pour réclamer ses droits. Une fois ce délai écoulé, il ne peut plus agir en justice. Ces 2 ans débutent à compter du 24 avril 2024.
Ces dispositions sont applicables uniquement aux contrats en cours et seulement pour une prise effective des congés payés (aucune indemnités compensatrices de congés payés n’est possible).
Pour les contrats rompus, seul le délai de prescription triennal s’applique. Autrement dit, aucune action devant le Conseil des prud’hommes n’est possible pour les contrats de travail rompus avant le 23 avril 2021.
Dans le même sens que ce sujet :
Un salarié en arrêt maladie du 09 août 2024 au 22 août 2024. Cependant, ce même salarié est en congés payés du 25 juillet 2024 au 12 août 2024.
Quelle est la règle en matière de report ou non des congés payés pour cause d’arrêt maladie pendant les congés payés ?
Le juge européen considère que le report des congés payés s’impose. Cette position a été confirmée par la cour d’appel de Versailles depuis la fin d’année 2022.
Malheureusement, la jurisprudence européenne a évolué depuis 2009 puis en 2012.
Les concours de cause de suspension sont en principe régis par un critère temporel : la première cause de suspension absorbe les autres. Un salarié gréviste puis malade pendant la grève sera considéré comme gréviste et non comme malade : il n’aura donc pas droit au revenu de remplacement.
Mais des exceptions existent. Notamment le salarié malade durant le congé de l’entreprise peut reporter ces congés payés non pris une fois rétabli (Décision de la CJUE du 20 janvier 2009). De manière plus générale, les congés payés ne peuvent être absorbés par une autre cause de suspension (CJUE 22 avril 2010 et CJUE 21 juin 2012). En effet, le droit au congé constitue un « principe de droit social communautaire revêtant une importance particulière ». La jurisprudence française reste attachée au principe de la première cause de suspension absorbe les suivantes depuis un arrêt de 1996 sauf pour le conflit de cause de suspension incluant les congés payés. Rien n’est prévu dans le Code du travail à ce sujet. La majorité des conventions collectives reste également muette à ce sujet.
En revanche, attention aux juridictions du fond qui commencent à appliquer la jurisprudence européenne ! Les arrêts du 13 septembre 2023 de la Cour de cassation laissent penser que les juges vont plutôt appliquer les décisions européennes plus que l’arrêt de 1996.
Article publié le 4 mai 2024